La classe moyenne québécoise face à quatre défis
Au cours des 50 dernières années, la classe moyenne québécoise a connu des transformations importantes, notamment quant à sa composition, ses actifs ainsi que son endettement. C’est ce que révèle un portrait1 publié récemment par l’Observatoire québécois des inégalités (OQI) qui met au jour certains défis auxquels sont confrontées les personnes qui forment cette classe sociale.
Si le concept de classe moyenne est souvent évoqué dans l’espace public, il n’existe aucun consensus sur sa définition. Tel que souligné dans un précédent rapport2, une multitude d’approches, parfois économiques (basées sur le revenu, la richesse ou la consommation), parfois sociologiques (basées sur des caractéristiques comme l’occupation professionnelle ou le niveau d’éducation), coexistent dans la littérature.
Afin de brosser un portrait de la classe moyenne et de son évolution, l’Observatoire québécois des inégalités a retenu la définition de l’OCDE, qui inclut dans la classe moyenne les personnes dont le revenu après impôt se situe dans l’intervalle de 75 % à 200 % du revenu médian ajusté des ménages. Au Québec, en 2022, cet intervalle se situait entre 40 997 $ et 109 324 $, ce qui correspond à environ 2 personnes sur 3.
Travailler davantage pour maintenir son niveau de vie
Contrairement aux idées reçues, le revenu disponible de la classe moyenne a connu une augmentation marquée (+50 %) depuis le début des années 2000, et ce, même si l’on tient compte de l’inflation.
Ce phénomène s’explique en partie par une augmentation de l’effort de travail. En effet, davantage de personnes au sein de chaque ménage doivent travailler pour maintenir le niveau de vie de la classe moyenne. Bien que le nombre de personnes par ménage diminue (la moyenne est passée de 4 personnes en 1976 à 3,3 personnes en 2022), le nombre de personnes ayant un revenu d’emploi, lui, augmente. Chez les couples avec enfants, la moyenne est passée de 2,1 en 1976 à 2,6 en 2022. L’augmentation de la participation des femmes au marché du travail de même que la hausse de la proportion de jeunes adultes habitant chez leurs parents peuvent expliquer ce phénomène.
Un accès à la classe moyenne qui se complique pour les locataires
La propriété résidentielle continue d’être un trait caractéristique de l’appartenance à la classe moyenne. Au Québec, la proportion de ménages propriétaires au sein de la classe moyenne a même augmenté, passant de 66,1 % en 1976 à 74,4 % en 2022.
Les ménages locataires sont proportionnellement moins nombreux à faire partie de la classe moyenne aujourd’hui qu’il y a 50 ans. Ceux-ci font également face à de nombreux défis, notamment sur le plan de la santé.
Selon une autre étude3 de l’OQI, les personnes locataires sont plus nombreuses à percevoir leur état de santé comme étant mauvais ou passable que les personnes propriétaires. La détention de patrimoine, notamment les actifs immobiliers, agirait comme une ressource protectrice contre divers problèmes de santé.
La classe moyenne de plus en plus endettée
Si la proportion de propriétaires a augmenté au sein de la classe moyenne malgré un marché résidentiel de moins en moins abordable, c’est en grande partie parce que la classe moyenne s’est endettée davantage.
En effet, le niveau d’endettement a augmenté de manière marquée entre 1999 et 2019 : la proportion de la dette au revenu disponible des ménages de la classe moyenne est passée de 82 % à 120 %. Cela signifie qu’en 2019, pour chaque dollar de revenu après impôt, les personnes faisant partie de la classe moyenne québécoise devaient 1,20 $. La proportion des personnes de la classe moyenne détenant une hypothèque a également progressé, passant de 36 % en 1999 à 41 % en 2019.
Si le niveau d’endettement de la classe moyenne peut paraître préoccupant, il faut toutefois rappeler que la dette ne constitue pas forcément un problème si elle n’est pas associée à des difficultés de remboursement. En fait, le prêt hypothécaire représente le principal facteur d’accumulation de richesse des familles au Québec4.
Redistribution essentielle au maintien de la classe moyenne
En l’absence d’interventions extérieures, les dynamiques du marché auraient provoqué une contraction de la classe moyenne québécoise au fil des cinquante dernières années. En effet, si l’on considère les revenus de marché (ex. : revenus d’emploi, de placements et de régimes de retraite privés), la proportion de ménages appartenant à la classe moyenne aurait régressé, passant de 54 % en 1976 à 48 % en 2022.
Les transferts gouvernementaux et la fiscalité ont plutôt permis à la classe moyenne de croître au Québec. Les mécanismes de redistribution ont donc favorisé son expansion en permettant à de nombreuses personnes, qui auraient autrement appartenu à la classe défavorisée, d’y accéder. En contrepartie, la contribution fiscale de la classe moyenne a connu une légère augmentation, l’impôt sur le revenu étant passé de 15,6 % du revenu total ajusté en 1976 à 17,6 % en 2022.
L’accès aux conseils financiers comme levier pour renforcer la classe moyenne
La classe moyenne québécoise a connu d’importantes transformations au cours des dernières décennies. Si elle demeure vigoureuse, son maintien repose sur un équilibre fragile entre les dynamiques du marché, les politiques de redistribution et l’évolution des modes de vie.
Dans ce contexte, l’accès à des conseils financiers peut constituer un levier essentiel pour renforcer la sécurité financière de la classe moyenne. Une étude menée par Claude Montmarquette et Alexandre Prud’homme du CIRANO révèle que les personnes faisant appel à un professionnel en services financiers accumulent en moyenne plus d’actifs que celles qui n’y ont pas recours5. En 2018, les ménages bénéficiant de conseils financiers depuis 15 ans ou plus détenaient des actifs dont la valeur était, en moyenne, 131 % plus élevée que celle de ménages comparables sans conseiller.
Cet effet positif est d’autant plus marqué chez les ménages à plus faibles revenus. Pourtant, ce sont justement ces ménages qui sont proportionnellement les moins nombreux à avoir accès à un conseiller : seulement 36,1 % des ménages gagnant moins de 35 000 $ par an en consultent un, contre 48,2 % chez ceux dont le revenu annuel est de 90 000 $ ou plus.
Références
Cet article est d'abord paru dans l'édition été 2025 du CSF Mag+.
1 Geoffroy Boucher avec la collaboration de Roberson Edouard and Ferdaous Roussafi (2025). Portrait et évolution des classes moyennes au Québec et au Canada, Montréal, Observatoire québécois des inégalités.
2 Roberson Edouard avec la collaboration de Geoffroy Boucher et Ferdaous Roussafi (2024). Les classes moyennes au Canada et au Québec, Montréal, Observatoire québécois des inégalités.
3 Geoffroy Boucher et Sandy Torres (2024). L’influence du patrimoine sur les inégalités sociales de santé, Montréal, Observatoire québécois des inégalités.
4 Geoffroy Boucher (2024). Derrière l’endettement des ménages, des inégalités d’accès au crédit, Montréal, Observatoire québécois des inégalités.
5 Claude Montmarquette et Alexandre Prud'homme (2020). More on the Value of Financial Advisors, CIRANO.
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